La fausse couche
La fausse couche est l’un de ces nombreux moments de vie où la psyché peut être perturbée et entrer dans une spirale infernale par des multiplications de strates qui s’entremêlent, voire créent des impasses.
La psychanalyse néonatale et périnatale sont issues d’une clinique psychanalytique qui s’intéresse au sujet de la psychopéri et psycho anté natalité, qui posent un regard psychique sur le désir d’enfant, la grossesse, la naissance, les premiers 1000 jours de vie.
Pour le psychanalyste, la grossesse (passée, présente ou future) et la naissance sont des temps de repérage de conflits et de réactivation possible d’évènements douloureux, c’est aussi le temps de la naissance de la vie subjective du nourrisson et du futur adulte, le temps des débuts de la relation et du lien pour vivre.
La fausse couche
J’ai choisi d’aborder la fausse couche avec vous.
Qu’est ce qu’une fausse couche finalement ?
La fausse couche c’est une interruption spontanée de la grossesse au cours des 5 premiers mois c’est-à-dire avant la 22 ème semaine d’aménorrhée. La 22 ème semaine correspond à la date de viabilité du bébé. On la qualifie de tardive lorsqu’elle arrive entre la 14 ème et la 22 ème semaine et de mort fœtale au-delà de la 14 ème semaine d’aménorrhée, in utéro donc, et cette dernière est cliniquement et échographiquement évidente, même si la disparation des mouvements fœtaux peut être suspectée.
C’est peut-être la grande oubliée, ou banalisée des moments douloureux psychiquement autour de la grossesse.
On pensera plus spontanément aux codes rouges, aux IMG, aux décès néo ou périnataux, aux parcours FIV, à l’IVG. Peut-être parce qu’on les voit.
La fausse couche est plus que les autres enfermée dans le silence de l’évènement, ou d’un non-événement d’autant plus qu’elle passe en phase précoce inaperçue et masquée par l’interprétation d’un retard de règle.
La fausse couche concerne quand même un quart des grossesses et donc fait partie de la vie de la femme.
Le silence autour de la fausse couche est à questionner (en psychanalyse on accorde autant d’importance aux mots qu’aux silences) car elle peut être donc invisible d’autant plus qu’elle est précoce (avant la 14 ème semaine).
S’il y a des mots dessus, cela peut relever du paradoxe : la grossesse est terminée mais l’embryon est toujours dans l’utérus. L’esprit ne peut pas comprendre ce qui est vrai et faux à la fois.
Ce paradoxe peut amener à re-traumatismer avec l’impression d’être un tombeau le temps de la prise en charge, avec la confrontation directe à la mort, portée en soi.
Un temps long et court à la fois entre l’annonce de l’arrêt de la grossesse et la suite qui est l’expulsion naturelle ou un traitement déclenchant l’expulsion. Un temps impensable où la femme est dans l’entre-deux.
C’est un temps de début de deuil.
Un temps propice à toutes les émotions. Tout y passe : le déni (est ce que ç arrive bien ? Tout a été si rapide…), la colère ou la rage (contre le médecin qui aurait peut-être pu me recevoir avant, contre soi aussi avec la culpabilité de ne pas avoir su écouter avant que quelque chose n’allait pas, comme une tentative de contrôle face à l’impuissance, avec les « et si et si »). Il peut y avoir un temps de marchandage avec des idées magiques du type « si je ne bouge pas, le cœur repartira peut-être ». La recherche de réponses amène parfois au doute de soi voire au masochisme avec les auto-accusations comme une réponse possible au besoin de contrôle face à l’inattendu.
Et il y a la tristesse. La tristesse qui est normale en soi mais qui peut évoluer en dépression, et dans le cas de la fausse couche les recherches parlent quand même de la dépression pour la moitié des cas quand même…
Le deuil est ce temps de la perte mais aussi un double mouvement qui en parallèle du désinvestissement de la libido, du temps de l’adieu, la pulsion de vie se réinvestit peu à peu ailleurs, autrement.
Chacun son rythme, comme dans tout deuil. Il y a parfois un décalage entre le ressenti de la maman et celui du papa ou inversement et l’entourage qui voudrait peut-être aller plus vite et le temps médical. Parfois le temps médical prend le pas, parfois c’est le temps du corps qui expulsera l’embryon avant la médicamentation.
Le temps de la fausse couche est le temps du corps qui prend le temps dont il a besoin. Il y a des zig zag, rien n’est linéaire.
Dans le travail du deuil on parlera d’acceptation, qui va permettre d’aller vers de nouveaux investissements.
Normalement. Dans d’autres cas la dépression perdure et l’état sera mélancolique. La fausse couche n’est pas à prendre à la légère car elle peut réactiver certains traumatismes plus anciens notamment en lien avec l’angoisse d’abandon dans les troubles de l’attachement.
Le deuil, c’est un des thèmes essentiels en psychanalyse. Très brièvement, le deuil touche à l’identité de soi, au-delà de la perte.
Ce bébé par lequel la personne s’était déjà projetée en tant que futur parent, avec un Moi qui s’enrichissait d’une nouvelle identification, par le biais d’un désir se liant à ce bébé qui permettait justement ce narcissisme. On parlera de perte objectale pour le bébé et de perte narcissique pour la perte d’un bout de soi, ce soi idéal de parent dont le nouveau costume avait été revêtu.
Les termes légaux et médicaux se joignent à la mort de l’enfant imaginaire.
Le terme de « fausse couche » est paradoxal car la fausse couche est vécue comme la perte réelle du bébé. La couche n’était pas fausse même si elle n’aboutit pas. Le langage nous entraine entre un décalage entre le stade réel de la grossesse et sa perception, qui ne peut être que subjective c’est-à-dire faisant partie d’une histoire, mais aussi d’une éducation, d’une époque, d’une société.
Le traumatisme
Le traumatisme ce n’est pas que les accidents (route, avalanche etc...), les attentats, les agressions.
Le mot « Trauma » a une racine grecque signifiant « rupture de la continuité ».
Il s'agit d'une rupture dans la vie, soudaine et imprévue ou bien répétée dans le temps et parfois dans l'enfance.
Le, d'abandon, de culpabilité.
Tout comme la naissance peut être vécue traumatiquement, la non-naissance l’est également.
Ces moments de vie peuvent relever de ce qu’on appelle le traumatisme.
Que ce soit de sa propre expérience ou en tant qu’observateur, voir la mort en face, qu’elle soit réelle ou un risque, est un risque de facteur déclencheur de traumatisme.
Les personnes atteintes d'un stress post traumatisme vont revivre en boucle le moment du trauma avec la même intensité.
Certaines auront besoin de retraiter la fausse couche avant de continuer d’autres projets de grossesse pour que le passé, le présent et le futur ne se mélangent plus suite au mécanisme de dissociation lié au trauma.
Comme suite à cet effet d’intensité et de soudaineté le cerveau n’a pas pu agir comme classiquement pour se protéger d’un stress, les mécanismes de défenses se mettront en aval et de manière dysfonctionnelle avec des projections d’anticipations inadaptées par la suite et un besoin de maitrise décuplé et couteux en énergie.
La fausse couche est une psychopathologie de la vie quotidienne
Il existe dans la vie quotidienne des manifestations de notre inconscient pour lesquels on ne viendrait peut-être pas consulter mais qui méritent d’être posés car ils vont pouvoir nous aider, comme les rêves à mieux nous connaître ou à aller plus loin dans son analyse.
Il s’agit des voies de décharge de l’inconscient par la formation de compromis.
Classiquement les plus connus sont :
- Actes manqués
- Rêves
- Associations libres
- Lapsus
Freud aborde les voies de décharge de l’Inconscient en 1901 dans son ouvrage Psychopathologie de la vie quotidienne avec une liste dont le déterminisme et le hasard font partie. Déterminisme et hasard « forment les racines de la superstition ».
Ce sont des formes substitutives qui servent de remplacement au désir inconscient.
Ce sont les formes empruntées par le refoulé pour être admis dans le conscient en faisant retour dans le symptôme.
Ou dans le corps. Le corps fait symptôme et met à mal un désir inconscient de maternité autour d’une grossesse impossible qui s’incarne dans le corps.
Il s’agit donc de ne pas faire l’impasse de la fausse couche comme symptomatologique d’un conflit inconscient puisqu’il s’agit d’une interruption « spontanée » de grossesse et donc normalement due au « hasard ».
Je dirai que ce qui doit être vraiment interrogé psychiquement est la répétition de la fausse couche s’il y a lieu.
Il faudrait aussi poser l’aspect transgénérationnel ici.
Ce parcours de la femme est fait de nombreux tabous et non-dits comme par exemple la grossesse qui va être colorée d’indicible avec déjà le « ne rien dire » traditionnel pendant les trois premiers mois. La naissance commence souvent par un secret, puis le plaisir de dire.
Ceci dit au passage ce dont certains se doutaient mais dont ils ne parlaient pas non plus, n’osant pas poser des questions.
Un tabou s’abat sur la femme enceinte avec le besoin de cacher, de rendre invisible la grossesse donc.
Parfois si l’on dit, dans le cadre de la fausse couche, il y a double peine : il faudra annoncer la mauvaise nouvelle et c’est pire.
Alors parfois rien n’est dit. A quoi bon, puisqu’ils ne savaient pas…
Il sera intéressant de relier le silence de la « fausse » couche au secret de famille possible et au corps porteur d’une crypte en héritage, d’un deuil non fait très souvent par nos ancêtres. Les mots ne s’y mettent-ils pas en posant le signifiant « faux » comme pour barrer la perte comme on fait chut avec le doigt sur la bouche pour se taire ?
Je laisse la question ouverte pour ouvrir un champ de possible.
On ne peut pas revenir en arrière mais on peut questionner et soutenir tout événement de vie pour pouvoir le retraverser, le nommer et le digérer.